Nous sommes entrées dans un nouveau monde !
l'Anthropocène. Sources : Francois Gemenne et Marine Denis
L’Anthropocène est une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques.
C’est l’âge des humains ! Celui d’un désordre planétaire inédit.
L’histoire de la Terre et celle de l’espèce humaine ont aujourd’hui convergé. Cette collision de deux Histoires marque une rupture dans la relation qui unit les hommes à la Terre.
Pour la première fois, ce sont en effet ses habitants qui sont devenus les principaux moteurs des changements qui l’affectent.
Les désordres générés par les effets de l’activité humaine ont des conséquences multiples : climat, sécurité alimentaire, accès aux ressources vitales, migrations forcées et soudaines, précarité énergétique….
L’importance de l’Anthropocène
Au cours des 12 000 dernières années, l’humanité s’est développée dans l’Holocène, une période géologique interglaciaire, qui succédait à l’époque glaciaire du Pléistocène et qui était marquée par une remontée des températures et du niveau des mers.
L’Holocène se caractérise par une phase particulièrement stable pour le mode de développement de l’espèce humaine que nous connaissons aujourd’hui. La hausse des températures a permis une importante migration des populations vers le nord, qui devenait bien plus habitable.
Cette nouvelle époque se caractérise par l’avènement des humains comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques : l’Anthropocène, c’est l’âge des humains.
Les activités de l’Homo sapiens modifient la composition de l’atmosphère et la réchauffent à marche forcée, en chargeant l’environnement de nouvelles substances chimiques de synthèse qui se répandent. Le développement économique et social des activités humaines provoque le rejet d’éléments microplastiques à la surface de tous les océans du globe, érode la biodiversité et accélère la disparition d’espèces animales. Pour la première fois dans l’histoire de la Terre, ce sont ses habitants qui sont devenus les principaux moteurs des changements qui l’affectent.
Les scientifiques ont observé au cours de ces cinquante dernières années le déclin rapide des fonctions et des services de l’écosystème de la planète, en particulier sa capacité à réguler le climat sur le long terme dans les espaces habitables et cultivables.
L’espèce humaine doit désormais se préparer à rompre avec cet ancien modèle selon lequel les écosystèmes se comportent de façon linéaire, prévisible, sur lesquels l’homme peut maintenir son contrôle et exercer ses activités de développement. L’espèce humaine devient le principal facteur et déclencheur de changements au niveau planétaire.
L’étude scientifique menée par Johan Rockström, directeur du Stockholm Resilience Center de l’université de Stockholm, recense l’existence de neuf limites planétaires qui déterminent le cadre d’un espace sécurisé pour l’homme. Ce « terrain de jeu délimité » agirait comme garde-fou de l’activité humaine susceptible de provoquer des changements environnementaux non soutenables.
Elle a établi, pour chacun d’entre eux, les seuils à ne pas dépasser, sous peine de provoquer des modifications brutales et irréversibles des équilibres naturels. Publiés en 2009 dans la revue Nature, ces travaux font l’objet de recherches continues. Ils ont été révisés en 2015, et une nouvelle fois en septembre 2023. Depuis cette dernière actualisation (2023), le SRC dispose d’indicateurs pour chacune des 9 limites planétaires. Ces indicateurs sont présentés sous la forme de seuils, avec une valeur basse (appelée « frontière planétaire ») et une valeur haute (« limite planétaire »). Dès le franchissement de la valeur basse, on entre dans une zone d’incertitude, le risque s’élevant de plus en plus, à mesure que l’on s’approche de la valeur haute de la limite.
Les 9 limites planétaires
- le changement climatique ;
- l’érosion de la biodiversité ;
- la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore ;
- le changement d’usage des sols ;
- le cycle de l’eau douce ;
- l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère ;
- l’acidification des océans ;
- l’appauvrissement de la couche d’ozone ;
- l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère.
Limites planétaires : où en sommes-nous ?
En septembre 2023, les chercheurs tirent la sonnette d’alarme : six des neuf limites planétaires ont été franchies !
Avec six limites franchies sur neuf, la planète se trouve aujourd’hui bien au-delà de l’espace de fonctionnement sûr pour l’humanité.
Dans cette étude, les scientifiques estiment ainsi que la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) ne doit pas dépasser une valeur comprise entre 350 et 450 ppm (partie par million). Or, la teneur moyenne actuelle se situe au-dessus de 400 ppm.
Au-dessus du seuil de 450 ppm, les impacts toucheront l’ensemble du globe. Le maintien du réchauffement climatique sous la barre des 2 °C à l’horizon 2100 fixé par la communauté internationale à l’issue de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009 présenterait, même atteint, des risques significatifs pour toutes les sociétés humaines.
L’érosion de la biodiversité semble également sans appel. Les biologistes estiment que le recul de la biodiversité animale annonce les prémices d’une sixième crise d’extinction biologique massive de la planète. La limite d’érosion de la diversité du vivant étant largement dépassée, se pose également la question de la capacité de réaction et de renforcement des systèmes naturels et biologiques.
Les systèmes biologiques et naturels ont des états stables multiples maintenus grâce à leur capacité de résilience, qui leur permet d’intégrer dans leur fonctionnement une perturbation, sans pour autant changer de structure qualitative.
Phénomène étroitement lié à la perte de biodiversité, le changement rapide d’usage des sols résulte d’une course économique aux terres arables. Les chercheurs fixent le seuil de conservation du couvert forestier dans les zones auparavant forestières à 75 %, alors qu’il n’est en moyenne aujourd’hui qu’à 60 %. Certains indicateurs demeurent toutefois au vert, comme l’utilisation d’eau douce, l’intégrité de la couche d’ozone, l’acidification des océans dont les indices sont en deçà des limites calculées par les chercheurs.
Le défi du « développement durable » de l’espèce humaine tout entière dépasse celui du défi climatique.
En découle la nécessité de transformer notre système de gouvernance et de gestion des ressources. Il convient notamment de substituer aux notions d’efficacité et d’optimisation une approche plus flexible, plus adaptable, dans laquelle les systèmes environnementaux et sociaux se complètent et fonctionnent sur de mêmes bases.
Ces crises peuvent toutefois mener à des opportunités, et les défis écologiques auxquels sera confrontée l’espèce humaine mettront en jeu sa capacité à construire de nouveaux modèles de gouvernance locale et à appliquer des politiques publiques et économiques de façon pérenne.
Cette transformation se fonde avant tout sur la création de partenariats de confiance, alliant l’action et le local, les innovations institutionnelles croisées et la remise au centre des acteurs locaux.
Ce nouveau défi auquel l’espèce humaine est confrontée, celui d’habiter le monde et d’y poursuivre son développement dans un espace peu sécurisé, ne pourra se penser sans la redéfinition d’une géopolitique de la Terre, au sens premier du terme.
Le défi du « développement durable » de l’espèce humaine tout entière dépasse celui du défi climatique, et amène à s’interroger sur le passage à une conception nouvelle du temps. Il s’agirait de rompre avec la tradition du « court terme » et de penser en « temps de longue durée » (Fernand Braudel), afin de sortir de notre vision du « temps historique » tel qu’il est pensé par l’homme, et pour l’homme seul.
De ce désordre planétaire doit sortir une nouvelle politique globale, qui dépasse les relations internationales et réinvente les concepts sur lesquels elles s’appuient : que veulent dire le territoire, les frontières ou la souveraineté à l’heure de l’Anthropocène ? C’est toute une Terre à inventer.